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MILIEUX AQUATIQUES

Captures accidentelles des cétacés dans le Golfe de Gascogne, retour sur les actions menées par DMA, FNE et Sea Shepherd

Nul doute que la pêche a des conséquences désastreuses sur les cétacés du fait de nombreuses captures accidentelles par les engins de pêche. 

Lorsque les bateaux équipés de filets partent pêcher en mer (principalement les navires chalutiers, fileyeurs et senneurs), de nombreux cétacés peuvent se retrouver piégés par ces derniers. Ils sont alors capturés involontairement par ces méthodes de pêche non sélectives. Ce sont majoritairement deux espèces protégées qui sont concernées : le dauphin commun (Delphinus delphis) et le marsouin commun (Phocoena phocoena). Dans un rapport scientifique publié en 20231, l’Observatoire Pelagis, La Rochelle Université et le CNRS alertent sur la mortalité des cétacés par les engins de pêche. La capture dans un engin de pêche est la principale cause de mortalité du dauphin commun ! À cela s’ajoute bien évidemment toutes les autres pressions dues au réchauffement climatique et à la pollution des océans…

Le Golfe de Gascogne n’est pas épargné par ce phénomène, bien au contraire. Les captures accidentelles sont une véritable menace pour la conservation des espèces de cétacés. Les autorités françaises ne sont pas restées totalement inactives sur le sujet et, sous l’impulsion de l’Union-Européenne, ont su mettre en place des mesures de protection. À titre d’exemple, un arrêté du 1er juillet 20112 interdit la destruction ou encore les perturbations intentionnelles des cétacés au motif que ce sont des espèces protégées. Depuis lors, il est « censé » avoir une obligation de déclaration des captures de cétacés (mais qui n’a été appliquée qu’à partir de 2019).

Malheureusement, en dépit de ces mesures de protection, les phénomènes de mortalités ont continué d’accélérer. Les données recueillies par Pelagis permettent d’estimer que chaque année depuis 2016, entre 5 000 et 10 000 petits cétacés sont capturés dans des engins de pêche. Les niveaux de mortalités actuels ne sont pas soutenables pour les petits cétacés.

À de trop nombreuses reprises, Défense des Milieux Aquatiques, aux cotés d’autres associations de protection de l’environnement, a fermement contesté ces captures accidentelles et invité l’État à prendre ses responsabilités pour la protection des cétacés. En juillet 2019, Sea Shepherd France et France Nature Environnement ont adressé, avec 24 autres ONG3, une plainte auprès de la Commission européenne lui demandant de lancer une procédure en infraction contre la France, cette dernière ayant échoué dans son obligation de protéger les cétacés des captures accessoires dans les filets de pêche. La Commission a alors adressé le 2 juillet 2020 une mise en demeure à la France de prendre des mesures pour réduire les prises accessoires4. Le même jour, le tribunal administratif de Paris rend un jugement symbolique en condamnant l’État pour méconnaissance de ses obligations en matière de protection des mammifères marins et de contrôle des activités de pêche (TA Paris, 2 juill. 2020, Association Sea Shepherd France, n1901535/4-25). Le tribunal reconnaît que l’état de conservation des cétacés est toujours insuffisant malgré les mesures destinées à protéger ces espèces. C’est une première victoire pour les associations de protection de l’environnement !

Continuant dans cette lancée, le 8 juillet 2020, Défense des Milieux Aquatiques parvient à obtenir l’annulation de l’arrêté du 17 janvier 2019 du ministre de l’agriculture et de l’alimentation relatif au régime national de gestion pour la pêche professionnelle de bar européen (Dicentrarchus labrax) dans le golfe de Gascogne6 en ce qu’il ne prend pas de mesures suffisantes pour les incidences de la pêche du bar sur les dauphins. En effet, les captures accidentelles de dauphins étant fréquentes lors de la pêche du bar puisque le régime alimentaire de ces deux espèces est le même, il est nécessaire que la réglementation de la pêche du bar prenne en compte l’enjeu de protection des dauphins. Le Conseil d’État enjoint donc au ministre de l’agriculture et de l’alimentation d’adopter des « mesures réglementaires de protection complémentaires de nature à réduire l’incidence sur l’écosystème de la pêche au bar européen dans le golfe de Gascogne, dans un délai de six mois » (CE, 8 juillet 2020, n°4290187**). Cette histoire aura malheureusement une suite… En effet, Défense des Milieux Aquatiques a attaqué l’arrêté du 4 juillet 20238 modifiant l’arrêté du 17 janvier 2019 au motif que ce dernier n’a pris aucune mesure pour tenir compte de l’injonction prononcée par le juge.

En parallèle de ces recours, les autorités nationales ont mis en place de nouvelles mesures de protection des cétacés. Par un arrêté du 26 décembre 20199 (modifié par un arrêté du 27 novembre 202010) un dispositif de dissuasion acoustique est créé pour les navires chalutiers dans le Golfe de Gascogne afin d’éloigner les petits cétacés. Également, une stratégie nationale de préservation des cétacés est instaurée à travers le Plan d’action pour la protection des cétacés de 201911. Ce plan vise à renforcer la connaissance des populations de cétacés et des impacts des activités humaines mais aussi à réduire les pressions anthropiques sur les cétacés en réduisant les captures accidentelles.

Encore une fois, ces mesures ne sont pas suffisantes… En effet, depuis 2020, le Conseil International pour l’Exploration de la Mer (CIEM) recommande la mise en œuvre de fermetures spatio-temporelles de pêche, qui peuvent être combinées avec l’équipement des navires en dispositifs de dissuasion acoustique. L’association France Nature Environnement va donc demander la fermeture de la pêche en saison hivernale 2021 et la mise en place de mesures de réduction des captures accessoires. L’association Sea Shepherd France va formuler des demandes similaires en saisissant le juge du référé-liberté. La procédure du référé-liberté permet de demander au juge de prendre en urgence une mesure nécessaire à la sauvegarde d’une liberté fondamentale si l’administration y porte atteinte de manière grave et illégale. Malheureusement, les demandes vont être rejetées par le juge qui estime qu’elles dépassent ses pouvoirs de juge des référés (CE, 27 mars 2021, Association Sea Shepherd France, n°45059212). En effet, c’est un juge de l’urgence et des solutions immédiates et provisoires et les demandes de l’association revenaient à lui demander d’ordonner à l’État des mesures non provisoires.

En décembre 2021, l’association France Nature Environnement et l’association Sea Shepherd France ont donc demandé à la ministre de la mer de prendre des mesures urgentes nécessaires pour réduire les prises accidentelles de dauphins dans le Golfe de Gascogne. Cette dernière ayant implicitement rejeté leur demande, elles ont saisi le juge des référés d’un référé-suspension parallèlement à un recours en annulation contre ce refus. Le référé-suspension est une procédure d’urgence qui permet d’obtenir la suspension de l’exécution d’une décision prise par l’administration et qui vous est favorable. Pour recourir au référé-suspension, il faut obligatoirement avoir déposé au préalable une requête en annulation de la décision dont on demande l’annulation (en l’espèce, la décision de rejet implicite de la ministre de la mer). Défense des Milieux Aquatiques est alors intervenue au soutien de France Nature Environnement et de Sea Shepherd pour demander au juge des référés de suspendre l’exécution des décisions de la ministre de la mer rejetant implicitement les demandes et d’ordonner à titre provisoire à la ministre, d’une part, la fermeture spatio-temporelle pendant trois mois, de janvier à mars 2022, des pêcheries françaises concernées par les captures de cétacés dans le golfe de Gascogne et, d’autre part, de prendre toute mesure visant à l’exécution de cette mesure provisoire d’urgence. Encore une fois, le juge des référés va rejeter les demandes au motif que la condition de l’urgence n’est pas remplie. Il a tout de même relevé que les mesures prises par les autorités nationales étaient insuffisantes mais a opéré une mise en balance des intérêts que nous associations défendions, avec l’intérêt général. Il en a alors conclu que les coûts d’une telle fermeture auraient conduit à un manque à gagner important pour la filière de la pêche (CE, ord. 23 décembre 2021, Association France Nature Environnement, Association Sea Shepherd France, n°459225, 45930913). Le juge a donc préféré faire prévaloir les intérêts économiques sur les intérêts environnementaux…

Finalement, statuant sur le fond, le Conseil d’État va enfin nous donner raison en prononçant une injonction au gouvernement visant à ce que des fermetures spatio-temporelles de pêche soient imposées (CE, 20 mars 2023, France Nature Environnement, Défense des Milieux Aquatiques, Sea Shepherd France, n°44978814). Il estime en effet que « le niveau des décès liés aux captures accidentelles dans le seul golfe de Gascogne reste, ainsi qu’il a été dit, largement supérieur aux niveaux permettant d’assurer, sur l’ensemble de la zone Atlantique Nord-Est, un état de conservation favorable des petits cétacés ». Après des années de lutte, cette décision était très attendue !

Par la suite, le Secrétariat d’État a donc pris l’arrêté du 24 octobre 2023 établissant des mesures spatio-temporelles visant la réduction des captures accidentelles de petits cétacés dans le Golfe de Gascogne pour les années 2024, 2025 et 202615. Il ne faut cependant jamais crier victoire trop vite. En effet, cet arrêté prévoyait 4 semaines de fermeture de la pêche en janvier-février mais surtout de trop nombreuses dérogations à cette fermeture. Seulement quelques dizaines de bateaux étaient alors concernées par cette fermeture, ce qui amène à s’interroger sur l’efficacité d’une telle décision. Restants toujours aux aguets, nous avons encore une fois attaquer l’acte litigieux. Saisi d’un référé-suspension par Défense des Milieux Aquatiques, France Nature Environnement, la Ligue de Protection des Oiseaux et Sea Shepherd France, le Conseil d’État a suspendu la majeure partie des dérogations et a étendu la fermeture aux sennes pélagiques (CE ord, 22 décembre 2023, Association France Nature Environnement et autres, n° 449788, 449849, 453700, 45915316).

Cette décision, qui a entraîné la fermeture de quatre semaines du 22 janvier au 20 février 2024, a permis d’accorder du répit aux cétacés cet hiver dans le Golfe de Gascogne. En effet, le bilan des échouages publié par l’observatoire Pelagis durant la fermeture dispose que seulement 2 individus sur les 50 retrouvés portaient les traces de mort des engins de pêche17. Pelagis précise cependant qu’il est encore trop tôt avant de conclure à l’efficacité globale de cette fermeture à l’échelle de toute la période à risque. Défense des Milieux Aquatiques, aux côtés d’autres associations, continuera de mettre l’État face à ses responsabilités et d’agir pour la protection des cétacés.

Notes

  1. Pelagis, Les échouages de mammifères marins sur le littoral français en 2022

  2. Arrêté du 1er juillet 2011 fixant la liste des mammifères marins protégés sur le territoire national et les modalités de leur protection

  3. Seas at Risk, Whale and Dolphin Conservation, ClientEarth, Coalition Clean Baltic, Coastwatch Europe, Danish Society for Nature Conservation, Ecologistas en Accion, The Fisheries Secretariat, Fundació ENT, FNE, Humane Society International, International Foundation for Animal Welfare, Irish Wildlife Trust, Irish Whale and Dolphin Group, Ligue pour la Protection des Oiseaux, Marine Conservation Society, Natuurpunt, Oceana, OceanCare, Our Fish, Sciaena, Sustainable Water Network SWAN, Swedish Society for Nature Conservation, Wildlife and Countryside Link Bycatch sub group, WWF.

  4. Procédure d’infraction de la Commission européenne

  5. TA Paris, 2 juill. 2020, n°1901535/4-2, Association Sea Shepherd France

  6. Arrêté du 17 janvier 2019 relatif au régime national de gestion pour la pêche professionnelle de bar européen (Dicentrarchus labrax) dans le golfe de Gascogne (divisions CIEM VIIIa, b)

  7. CE, 8 juillet 2020, n°429018

  8. Arrêté du 4 juillet 2023 modifiant l’arrêté du 17 janvier 2019 relatif au régime national de gestion pour la pêche professionnelle de bar européen (Dicentrarchus labrax) dans le golfe de Gascogne (divisions CIEM VIII a, b)

  9. Arrêté du 26 décembre 2019 portant obligation d’équipement de dispositifs de dissuasion acoustique pour les chaluts pélagiques dans le golfe de Gascogne

  10. Arrêté du 27 novembre 2020 portant modification de l’arrêté du 26 décembre 2019 portant obligation d’équipement de dispositifs de dissuasion acoustique pour les chaluts pélagiques dans le golfe de Gascogne

  11. Plan d’action pour la protection des cétacés 2019

  12. CE, 27 mars 2021, Association Sea Shepherd France, n°450592

  13. CE, ord. 23 décembre 2021, Association France Nature Environnement, Association Sea Shepherd France, n°459225, 459309

  14. CE, 20 mars 2023, France Nature Environnement, Défense des Milieux Aquatiques, Sea Shepherd France, n°449788

  15. Arrêté du 24 octobre 2023 établissant des mesures spatio-temporelles visant la réduction des captures accidentelles de petits cétacés dans le golfe de Gascogne pour les années 2024, 2025 et 2026

  16. CE ord, 22 décembre 2023, Association France Nature Environnement et autres, n° 449788, 449849, 453700, 459153

  17. Pelagis, Quel effet de la fermeture de la pêche dans le golfe de Gascogne ?


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